Éphéméride 309 : Tectonique

Un jour de plus, un jour de moins, chaque matin
Une page m’attend pour que je la gribouille
De mon fort intérieur j’observe les lointains
Et d’ici je n’entends que crapauds et grenouilles.

Même si j’ai encore un pied en chaque monde :
L’ancien et le nouveau, à l’échelle du temps
Ce n’est que dérisoire comme un coup de sonde
Sur l’abîme caché au fond des océans.

Les forces telluriques de l’économique
Écartèlent des blocs de nations en guerre
Tout comme font les grandes failles tectoniques
Avec le chaud le froid des périodes glaciaires

Et comme un ours assis sur un coin de banquise
Dérivant lentement dans le sens du courant,
Je guette le poisson naviguant à sa guise :
Dans le flot des idées quelque peu zigzaguant

Je n’ai plus aujourd'hui de boussole précise…

Éphéméride 308 : Harmonia mundi

Il fallait autrefois presque quatre-vingts jours
Pour faire dans la hâte tout le tour du monde,
Et vaincre des périls, alors que de nos jours,
Tranquillement assis, c’est en quelques secondes.

J’apprends qu’en Israël on tire dans la rue, 
Qu’àprès un an Poutine n’a guère avancé
Que Kiev a demandé une aide encore accrue
Quand les occidentaux semblent tergiverser.

Partout on fait des morts à l’arme blanche ou bien
À la kalachnikov, ou au fusil à pompe,
Et ce n’est plus le fait des seuls Américains :
Qui cherche où tout va bien assurément se trompe.

Sur les réseaux qu’on nomme faussement sociaux
Ce ne sont qu’invectives, menaces de mort
On échange des coups à l’aide de photos
Et des influenceurs, comme jeteurs de sorts

Font sauter leurs moutons jusque par dessus bord !

Éphéméride 307 : Pro domo

Prévert disait « Les enfants s’ennuient le dimanche »
Et les “Frères Jacques” en avaient fait chanson
À défaut de pouvoir nous hisser sur les planches
Nous autres les gamins nous nous le répétions.

La poésie longtemps fut une occupation
De lettrés besogneux et un peu romantiques
Un peu “Jean de la Lune”, dont l’admiration
Concernait avant tout les poètes antiques.

Puis vinrent les Soupault, les Breton, les Lecomte
Avec Lautréamont, et Desnos le rêveur,
Sur leurs prédécesseurs ils ont craché sans honte
Mais ne sont aujourd'hui que des littérateurs.

La poésie ayant déserté les salons,
Un moment j’ai pensé qu’elle se pouvait dire
Mais pour se déclamer il n’était qu’Aragon
La mallarméité ne fait plus que sourire…

Alors loin des soupirs et stances somnifères
Loin des mots convenus, thèmes académiques,
Il me faut retrouver la veine populaire
Sans quitter pour autant le niveau poétique

Qui donne aux mots courants leur dimension tragique !

Éphéméride 306 : Zéro héros

Le héros maintenant s’inscrit à “Pôle Emploi”
Les grands hommes sont mis aux “Abonnés absents”
Difficile déjà d’être maître de soi
Quand on n’est entouré que d’esprits indigents.

Le “De Viris” n’est plus qu’un livre de brocante ;
Quand on est obsédé par les minorités
Comment pourrait-on croire que dans sa soupente
Un audacieux soudain pourrait se révéler ?

Gros profits, petits hommes, que ces milliardaires
Qui dans l’ombre se servent de ces pandémies…
Sauf à les inventer ils ont bien su en faire
Un instrument de plus pour gonfler leurs profits !

Il n’en est plus beaucoup pour haranguer les foules :
L’Insoumis beau parleur à défaut de régner
Devant une mosquée ira jouer aux boules,
Et aux femmes voilées promettant parité

Achètera la paix pour pour un plat de semoule.

Éphéméride 305 : Vis pacem

Prendre une bouffée d’air en écrivant des vers
En survolant très haut et la terre et ses guerres,
En rejoignant la troupe de tous ceux qui ont
Osé chanter la paix plutôt que les canons.

Il en est qui ont fait des vers de mirliton
De tristes Déroulède sur l’air des lampions,
D’autres qui sont partis sans être va-t-en guerre
Comme ce fut le cas pour notre Apollinaire.

Mais il en est aussi qui ont su résister
Qui n’ont pas succombé à la joie insensée
De la fleur au fusil qui devait mettre fin
À ce qui ne fut rien qu’un tragique destin.

Aujourd'hui les tambours qui de nouveau résonnent
Présagent des malheurs, si ne change la donne ;
Si les êtres pensants que nous devrions être
N’osent pas se lever, ils pourront disparaître

En un combat douteux de l’être et du paraître.

Éphéméride 304 : À l’Est, rien de nouveau !

Les marchands d’armes peuvent se frotter les mains :
Grâce à l’Ukraine et nos amis américains
La guerre pour de vrai est enfin revenue,
Et va leur assurer de fort bons revenus.

C’est à qui donnera à Kiev le plus de chars
Dans l’espoir d’obtenir à terre un Trafalgar,
Qui mettrait le Russie en mauvaise posture
Mais à bien regarder rien n’est pourtant moins sûr…

Les sujets allemands de l’Ogre américain
Pour en avoir le droit ont fait des pieds des mains,
Désireux de revoir en Russie leurs “Panzers”
Et se la rejouer comme du temps d’Hitler.

Et l’Ours en face qui n’a toujours pas trouvé
Le miel au creux du tronc du Donbass convoité,
Perplexe, de sa griffe, le bouton titille,
Le bouton rouge qui enverrait l’escadrille,

Des fusées nucléaires nous exterminer…

Éphéméride 303 : ”ChatGpt”

Aux USA on n’appelle pas “chat” un chat
Et les Français “bobos” ont repris ce mot-là,
Pour dire que l’on peut parler à un robot
Qui ne répond jamais que tout comme un idiot.

Il y a quarante ans “Eliza” m’amusait,
Car avec “Lisp”, ou “Prolog”, je pouvais
Faire répondre des sottises programmées
Et épater les ignorants, impressionnés !

Voilà que maintenant on nous refait le coup
Avec “chatGPT” sacré nouveau Gourou
Par tous ces journalistes qui n’étaient pas nés
Quand un Marvin Minsky, à l’Université,

Prétendait nous montrer que Türing avait tort
Et que par le binaire ce serait la mort
De nos pauvres cerveaux dont les circuits débiles
Devraient céder le pas aux transistors habiles !

Ces “gadgets” ne sont rien que du Wikipédia
Dans lequel un programme astucieux piochera
Pour imiter ce qu’un élève de l’ENA,
Sans culture réelle, aujourd'hui répondra

Si on lui pose des questions bien préparées
Et dans la norme de ce que l’on doit penser,
Tout comme il le fait sur son smartphone, déjà…
La vraie intelligence ne consiste pas 

A répéter ce que l’on sait, — mais inventer !

Éphéméride 302 : Éruptions

La NASA nous envoie des photos du soleil
Prises depuis le ciel, et l’astre qu’on surveille
Est sans cesse agité de grandes éruptions
Comme la Terre, quand, prise de convulsions,

Des cratères fumants, parfois, se réveillant
Lancent vers les hauteurs, du chaudron bouillonnant,
Des giclées de magma et de lave incendiaire :
Bien faible imitation des colères stellaires.

Et pourtant nous allons, par milliards, nous, fourmis,
Sur cette mince croûte, dans le seul souci
De trouver quelque place où pouvoir installer
Nos pénates, parfois, par des crimes guerriers…

Notre astre vieillissant qu’on appelle planète
Et dont les soubressauts rappellent qu’elle est faite
Du même feu commun à toute création
Nous laisse un peu de temps avant son extinction :

Plutôt que de se battre comme chiffonniers
Mettre au point des canons à plus longue portée
Peut être ferions nous mieux de nous consacrer
À ce qui de l’amibe nous a séparés :

À la Culture, à la Raison, à la Pensée…

Éphéméride 301 : la vie, la mort

Si on choisit sa vie, choisir sa mort aussi, 
Cela me semble bien, — du moins en théorie… 
Mais choisit-on sa vie dans une société 
Dont les contraintes sont sans cesses rajoutées ? 

Et choisit-on de naître ? On n’a rien demandé 
À ceux qui vous ont fait, et s’ils vous ont aimés 
Se séparent, s’en vont, et enfin disparaissent 
Et dont le souvenir si longtemps vous oppresse ?  

Peut-on reprendre ce que l’on vous a donné ? 
Les croyants disent non : de toute éternité 
Un Être supérieur pour eux a décidé 
Et il leur faut attendre d’être rappelés. 

Mais qui saura jamais étant en bon état 
Ce qu’il sera de lui, approchant du trépas ? 
Et pourra-t-il vraiment en conscience choisir 
Sur un lit de souffrance, proche du coma 

Qu’il en est arrivé là où il doit finir ?